Ils devisèrent longuement encore, faisant et refaisant le tour de Notre-Dame et de l'île Saint-Louis. Le ton affectueux de Michel encourageait Guillaume.
- Je craignais, disait celui-ci, que tu ne me répondes par quelque énorme gaudriole, et tu aurais eu raison, en somme. Mais décidément, nous nous comprenons tous deux à fond, d'un mot. Je n'ai pas encore baisé la petite, et cela aussi, c'est grotesque. Surtout pour moi, parce qu'à vrai dire, ce qui m'est arrivé le plus souvent, c'est de sabrer illico, à bitte que veux-tu. Mais elle est si jeune, si pauvre, tellement sans défense, que j'éprouve avant tout, auprès d'elle, une grande douceur. Je la berce, je la pelote, c'est plus sensuel que tout. Mais en même temps, ça m'attendrit, j'ai scrupule d'aller plus loin. Ce n'est qu'une petite sauvageonne, qui sait à peine lire et que j'emmène voir des films imbéciles. Pourtant, je savoure auprès d'elle une espèce de poésie que j'ai peur d'abîmer en la carambolant.
Les deux étendards, Lucien Rebatet. Éditions Gallimard, 1951. Page 154.
J'ai peur d'abîmer