Trois heures du matin. Je perçois cette seconde, et puis cette autre, je fais le bilan de chaque minute.
Pourquoi tout cela ? — Parce que je suis né.
C'est d'un type spécial de veilles que dérive la mise en cause de la naissance.
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Je ne fais rien, c'est entendu. Mais je vois les heures passer — ce qui vaut mieux qu'essayer de les remplir.
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Deux sortes d'esprit : diurnes et nocturnes. Ils n'ont ni la même méthode ni la même éthique. En plein jour, on se surveille ; dans l'obscurité, on dit tout. Les suites salutaires ou fâcheuses de ce qu'il pense importent peu à celui qui s'interroge aux heures où les autres sont la proie du sommeil. Aussi rumine-t-il sur la déveine d'être né sans se soucier du mal qu'il peut faire à autrui ou à soi-même. Après minuit commence la griserie des vérités pernicieuses.
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Il est impossible de sentir qu'il fut un temps où l'on existait pas. D'où cet attachement au personnage qu'on était avant de naître.
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Ne pas naître est sans contredit la meilleure formule qui soit. Elle n'est malheureusement à la portée de personne.
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Nul plus que moi n'a aimé ce monde, et cependant me l'aurait-on offert sur un plateau, même enfant je me serais écrié : « Trop tard, trop tard ! »
De l'inconvénient d'être né, Emil Cioran.
Éditions Gallimard, 1973.
De l'inconvénient d'être né